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The Canvas



What do you hear when you walk in the streets, when you take the subway or a plane? What do you hear when you look at buildings, at offices, at trains heading out, what do you hear ? You hear the world which forges on and lashes out, crowds swarming, the whistling of stars which remain aloft. And in each sound words take refuge. Some are spoken.

You hear commandments and orders, declarations of love, disagreements, questions, evasive answers, praise, insinuations. Words scatter like lightning over the surface of the world. Wherever there are words, that is where the surface is. Everywhere there is a surface, words appear, lovely words, polished words. Its every square centimeter knows its own nature, every empty outline has a famous name that appeals to your cravings. In every word, the world seems [back to front ; to put its worst face forward], seems to give in to the endless staccato of agitated phrases.

And you fall in with the masquerade of what is no longer masked and you dream of a word which trembles, a broken word, a word which knows how to keep quiet, how to keep a secret. You dream of a word you can listen to. You dream of words which talk back. But where to find them? You don’t find them. What is possible, on the other hand, is for your eyes to chance on a painted canvas hanging so silently that it mutes the noise of the entire world; what is possible, nonetheless, is for your gaze to happen on a painted canvas whose color is so deep that the world seems to find its calm again. What is possible, after all, is that one day your hand touches a painted canvas so saturated with absence that you feel you have brushed against the underside of words. What is possible, despite everything, is that, at least once, you stand before a painted canvas so opaque that it gives you the patience to wait, to wait for an answer.

A painting is hung. It says nothing, asks for nothing. And yet it does not leave you cold. When your eye looks at it for a long time, when your eye looks at it for a long time, when your eye still looks at it even after it has broken its teeth on the absence of an image, it may yet see in the distance a slight movement of a gesture and may, hesitatingly, and in tones of strange agreement, take a path where it has never been. If you accept the invitation, you will not only strike out on a strange errancy through the history of painting, you will get to know an unexpected painter painting away in the depths of every painting : time. Looking at Thierry
  Pécastaing’s canvases, you see pell-mell through the most diverse images of painting, on the wings of the strange harmony which saturates these canvases, an agreement audible in the depths of so many paintings that want to take you from the surface to the hidden face of things, to the world’s fundamental tone.

In this way it is possible for a touch of the colors in a 17th century picture, whose somber tones play unendingly with appearances, to pass before your eyes. Maybe the voyage will continue and you will go looking for some icon whose frame has long disappeared and whose wooden backing already becomes visible, because time’s brush slowly erases the image, until but a trace of its vastness remains. As if the mystery traversing these old images retreated into the depth of the picture, covered over by time.

If, after this journey so fleeting, your eye tarries again on these canvases painted with the colors of the night, doesn’t it recognize the hand of time, which, from over the painter’s shoulder, paints with him, when layer by layer, the world has retreated from our eyes ? Very gently, the canvas covers things, not to obscure them, but to protect them, not to hush them, but to make them speak. For, the somber canvas, doesn’t it speak about the secrets of things, the secrets of existence ? But what secrets take shelter behind the canvas, what mystery ? Well, look into the void and put your ear carefully against the peritoneum of the world.
If you look like that at the canvas, that plate hanging gently in space, isn’t it as if you were looking in a mirror ? But this mirror does not reflect your image. To the contrary, it erases you the way time hides old representations from the eyes. It effaces you and exposes a few parts of the obscure where where you took your first steps. This frameless plate, this mirror in which you disperse yourself, draws you behind the fact that you appear and takes you slowly toward the desert of your past. There, there is a domain which exists thanks to a tone which waits to be uttered, but never is. There, where there is no language, maybe a sign, an obscure track, again and again, invites you to penetrate the tundra of silence.

Do you see this black strip over the canvas : is it not the first tracing of a word, the start of a road through the unnameable ? You can rely on it, when you risk yourself in the twilight of the canvases. You can orient yourself by it, when you get lost in the low-tide of the hours. There is a road. But don’t forget : you always get lost.

Henk van der Waal







La Toile

Qu’est-ce que tu entends quand tu marches dans les rues, quand tu prends le métro ou l’avion ? Qu’est-ce que tu entends quand tu regardes les immeubles, les bureaux, les trains en partance, qu’est-ce que tu entends ? Tu entends le monde qui fonce et frappe, le grouillement des masses, le sifflement des étoiles qui ne tombent plus. Et dans chaque bruit les mots s’abritent. Quelques-uns sont parlés.

Tu entends des commandements et des ordres, des déclarations d’amour et des disputes, des questions, des réponses évasives, des éloges, des insinuations. Les mots s’envolent comme des éclairs par-dessus la surface du monde. Partout où sont les mots, la surface est là. Partout où il y a surface, les mots apparaissent, les jolis mots, les mots poncés. Chaque centimètre carré connaît son caractère, chaque plan vide porte un nom célèbre qui fait appel à ton désir. Dans chaque mot, le monde semble mettre son devant derrière, semble se livrer au staccato perpétuel des phrases agitées.

Et tu t’entraînes dans la mascarade de ce qui n’a plus de masque et tu rêves d’un mot qui tremble, un mot cassé, un mot qui sait se taire et cacher un secret. Tu rêves d’un mot auquel tu peux prêter l’oreille. Tu rêves des mots qui répondent. Mais où les trouver ? Tu ne les trouves pas. Ce qui est possible, en revanche, c’est que tes yeux tombent sur une toile peinte qui est pendue d’une manière aussi silencieuse qu’elle rend tout le bruit du monde muet ; ce qui est possible pourtant, c’est que ton regard rencontre une toile peinte dont la couleur est tellement profonde que le monde semble y retrouver son calme. Ce qui est possible quand même, c’est qu’un jour ta main touche une toile peinte qui est tellement imprégnée d’absence que le frôlement de l’arrière des mots devient sensible. Ce qui est possible quand même, c’est qu’une fois, tu te retrouves devant une toile peinte qui est tellement obscure qu’elle te donne la patience d’attendre, d’attendre une réponse.

Une peinture est pendue. Elle ne dit rien, elle ne demande rien. Pourtant elle ne te laisse pas froid. Quand ton œil la regarde longtemps, quand ton œil la regarde encore après qu’il a cassé ses dents sur l’absence d’une image, il est possible qu’il aperçoive dans le lointain le mouvement léger d’un geste et que, hésitant, et sur les tons d’un accord étrange, il prenne un chemin où il n’est jamais allé. Si tu acceptes l’invitation, tu ne partiras pas seulement en une errance étrange à travers l’histoire de la peinture, mais tu feras aussi la connaissance avec un peintre inattendu qui peint au fond de chaque peinture : le temps.  En regardant les toiles de Thierry Pécastaing, tu voies pêle-mêle à travers les images les plus diverses de la peinture, sur les
 

ailes de cet accord étrange qui imprègne ces toiles, un accord qu’on peut entendre sur le fond de tant de peintures qui veulent t’amener de la surface vers l’arrière des choses, vers le ton fondamental du monde. Ainsi est-il possible qu’une nuance des couleurs d’un tableau du dix-septième siècle, dont les tons sombres jouent un jeu perpétuel avec l’apparition, passe devant tes yeux. Peut-être que le voyage se poursuivra encore et que tu iras à la rencontre de quelque icône dont le cadre a déjà disparu depuis longtemps et dont le fond de bois devient déjà visible, parce que le pinceau du temps efface lentement l’image, jusqu’à ce que seule une trace de l’immensité subsiste. Comme si le mystère qui passe au travers de ces vieilles images se retirait dans le fond du tableau, recouvert par le temps.

Si, après ce voyage aussi fugitif, ton œil s’attarde de nouveau sur ces toiles peintes avec les couleurs de la nuit, est-ce qu’il ne reconnaît pas la main du temps qui, par-dessus l’épaule du peintre, peint avec lui, quand, couche après couche, le monde s’est retiré de nos yeux ? Tout doucement, la toile couvre les choses, non pas pour les assombrir, mais pour les protéger, non pas pour les taire, mais pour les faire parler. Car la toile sombre ne parle-t-elle pas des secrets des choses, des secrets de l’existence ? Mais quels secrets s’abritent derrière la toile, quel mystère ? Eh bien, regarde dans le vide et pose ton oreille prudemment sur le péritoine du monde.

Si tu regardes cette toile comme cela, ce plat qui pend doucement dans l’espace,est-ce que ce n’est pas comme si tu regardais dans un miroir ? Mais ce miroir ne renvoie pas ton image, au contraire, il t’efface comme le temps dérobe aux yeux les vieilles représentations. Il t’efface et met à nu quelques parties des parages obscurs dans lesquels tu as fait tes premiers pas. Ce plat sans cadre, ce miroir dans lequel tu te disperses, t’emmène derrière l’actualité de ton apparence et te déplace lentement vers le désert de ton passé. Là il y a un domaine qui existe grâce à un ton qui attend d’être dit, mais ne se dit jamais. Là, [OU] il n’y a pas de langue, peut-être un signe, une trace obscure, qui, encore et encore, t’invite à pénétrer la toundra du silence.

Vois-tu cette bande noire par-dessus le tableau : n’est-elle pas la première délimitation d’un mot, le commencement d’une route à travers l’innommable ? Tu peux t’y tenir quand tu te risques dans le crépuscule des toiles. Tu peux t’y orienter, quand tu te perds dans la morte-eau des heures. Il y a une route. Mais n’oublie pas : tu t’égares toujours.

Henk van der Waal









Les Couleurs du silence



« Le silence est si explicite », disait Mark Rothko. Ce constat peut s’appliquer au travail du peintre français Thierry Pécastaing. Ces voiles de couleur sourde et translucide nous incitent à ralentir, à méditer, à songer, d'une manière qui semble plus profonde que le feraient les mots. Elles nous invitent à réfréner notre regard, à contempler plus intensément. Avec leurs surfaces denses, et pourtant lumineuses, ces peintures méditatives semblent être éclairées de l’intérieur, et brillent d’une énergie calme, comme la surface d'un lac.

Les peintures de Thierry Pécastaing se composent de
formes simples, aux couleurs bleues, ambre sombre, grises, pourpres, et brunes, superposées en de nombreuses couches. Sur un support de papier rigide ou de toile, punaisées à même le mur, sans châssis ni cadre, elles sont d’abord enduites de couleurs vives, rouge, bleu, vert, ou orange, avec des pigments en cire (sur papier) ou des lavis de peinture acrylique (sur toile). Par des gestes amples, mais parfois aussi délicats qu’un effleurement, la gamme chromatique s’intensifie et s’approfondit, et devient plus délavée, plus mélancolique, jusqu'à ce qu’elle semble chuchoter : bleu ardoise, ocre, brun, rouge foncé, noir.

Formes lyriques de quelques centimètres ou travaux beaucoup plus grands, ces œuvres oscillent entre peinture et sculpture. Les assemblages-collages de grand format, réalisés sur un papier épais et rigide, au début des années 80, sont souvent pliés. Quelques années plus tard, Pécastaing se met à travailler sur de grands morceaux de toile mesurant parfois plus de deux mètres de haut. Toutes les œuvres parlent de notions d’isolement, de séparation et de fusion. Beaucoup sont de simples rectangles bicolores, avec, peinte à l’intérieur, une forme simple, tel un demi-cercle.
 

D'autres se composent d’un ensemble de deux ou trois formes élémentaires ou d’une combinaison d'autres formes asymétriques, l’une légèrement plus grande ou plus foncée que les autres. Parfois, une bande mince de couleur sombre barre le centre de la composition, suggérant une route ; cet objet évoque également la géométrie des peintures de Mondrian. Cette ligne foncée peut aussi apparaître furtivement derrière l'image, comme un élément personnel : une ceinture, des bras, des pieds.

Quel que soit leur format, les peintures de Pécastaing sont remarquables par leurs surfaces poreuses et somptueuses, qui rappellent celles d’Ad Reinhardt ou de Clifford Still, et peuvent prendre un nouvel aspect, celui du cuir, par
exemple, ou un ciel nuageux.

Si, vers la fin de la vie de Rothko, une impression de
vide remplaçait la lumière rayonnante de ses premières toiles, c’est l'opposé qui se produit dans le travail de Thierry Pécastaing.
À partir de 1991, émerge peu à peu un langage figuré exprimant l’espoir : fenêtres, portes, tunnels, portails, seuils ; exécuté dans des couleurs pâles et plus diaphanes, avec des applications de peinture lisse, presque liquide, et beaucoup plus sensuelle. Ses dernières peintures, moins géométriques sont plus organiques, évoquant des nuages, ou des ventres, des corps voluptueux, leur surface tactile suggérant parfois la chair. Ces tableaux reflètent les paradoxes de la nature ; il en émane une impression de vitalité, mais aussi un sentiment de fragilité. Ils laissent transparaître quelque chose de l’ordre de l’ambigu et de l’optimisme : la vulnérabilité se lie à la force, échappant au temps qui transforme les choses. Ils deviennent ainsi de belles et mystérieuses métaphores traduisant aussi bien des conditions physiques que des états intérieurs.

Laurie Hurwitz






The Colors of Silence


" Silence is so accurate,” Mark Rothko once said, and his statement seems apt for the work of French painter Thierry Pécastaing.
With veils of subdued, translucent color, he encourages us to slow down, meditate, reflect in a way that goes deeper than words. He invokes a more unhurried sense of time, a more intense gaze, more rapt attention. With their dense yet luminous surfaces, Pécastaing’s contemplative paintings seem to be lighted from within and radiate a quiet energy, like the surface of a lake.

Thierry Pécastaing’s paintings consist of simple forms in dusky blue, amber, gray, purple, and brown, built up in numerous layers. Executed on heavy paper or canvas, hung flat on the wall with neither stretcher nor easel, they start with a vivid underpainting in red, blue, green, or orange, using either pigment in wax (on paper) or washes of acrylic paint (on canvas). The colors are built up with soft, broad arm movements, rubbing motions, and delicate brushstrokes, and as they deepen, they become more muted, deeper, and more melancholy, until they seem to whisper: slate blue, soft gray, brown, maroon, black, ochre.

Ranging from whimsical shapes just a few inches long to much larger works, his works hover between painting and sculpture. Large-format assemblages from the early 1980s, made on thick, rigid paper, are often folded or collaged. A few years later, he introduced large-scale works on canvas, which can measure up to more than 2 meters high. All these works call to mind thoughts of separation, alienation, and connection. Many are configured as a single rectangle containing a simplistic shape, such as a semicircle.

 

Others consist of two or three basic forms joined together or a combination of other asymmetrical forms that vary only slightly in their regularity, size, or color.
At times, a slim, dark band cuts through the center of the composition like a road, recalling the geometry in Mondrian’s paintings; or sneaks out from behind the picture like something human, say, a belt on a pair of trousers, arms, or feet. Whatever the format, Pécastaing’s paintings are remarkable for their porous, sumptuous surfaces, which recall those of Ad Reinhardt or Clifford Still and can take on another aspect all together, looking like leather, or the sky.

If, toward the end of Rothko’s life, a sense of void replaced the radiant glow of his earlier canvases, the opposite occurs in Thierry Pécastaing’s work. From 1991 on, imagery begins faintly to emerge, expressing a sense of hope: windows, doors, tunnels, portals, thresholds; and executed in pale, more diaphanous colors, with a loose, fluid, and even more sensual paint application.
His last paintings depict softer, less geometric, more organic shapes, evoking clouds or bellies or voluptuous bodies, and their tactile surfaces at times suggest flesh.

These poignant paintings emanate a sense of vitality, yet also a feeling of fragility. They express something ambiguous, and something optimistic: vulnerability joins with solidity, timelessness with transformation. In this way, they become beautiful and mysterious metaphors both for physical conditions and for personal, inner states.

Laurie Hurwitz